Pousseurs de verre

Enfin ! Sept longues années de disette se sont achevées pour les tailleurs de verres de l’association, surnommés pousseurs de verre (du fait que le travail de taille de miroir consiste à pousser/tirer un disque de verre contre un autre avec des abrasifs de plus en plus fins). Entre les incertitudes d’un déménagement qui tarda à se concrétiser et une crise COVID qui nous a cueilli juste après notre installation dans nos nouveaux locaux, projets et matériels ont sagement été remisés en attendant des jours meilleurs. Les jours meilleurs sont arrivés…

Il faut dire que les projets ne manquent pas. Trois miroirs de type Newton-Cassegrain de 250 mm de diamètre attendent sagement sur les étagères la reprise de l’ébauchage. Un miroir de 200 mm non aluminé destiné à l’observation solaire suivra probablement. Mais pour l’heure, place à une entreprise plus raisonnable pour un redémarrage : la réalisation de deux miroirs de type Newton de 200 mm !

Et tout d’abord bienvenue à notre nouveau pousseur de verre Bernard 2, piaffant d’impatience de tailler son premier miroir, mais sans doute un peu intimidé par nos exploits passés… Son miroir de 200mm aura une focale de 1000 mm, idéal pour se faire la main et détenir à terme un télescope polyvalent. Le deuxième miroir taillé durant cette session viendra remplacer l’actuel miroir de mon télescope qui m’a servi principalement à faire de la photo. Il faut dire que ce miroir ouvert à 4 du commerce fait peine à voir. Outre ses défauts de jeunesse (astigmatisme), il ressemble aujourd’hui plus à une passoire à photon avec son aluminure toute piquée, et quelques traces de champignons. Il sera retaillé à l’avenir pour devenir un miroir destiné à l’observation solaire, sans aluminure.

Avant d’entamer le travail, il a d’abord fallu rassembler le nécessaire, en premier lieu des disques de verre, préparer le local, sortir le matériel et les fournitures nécessaires, vérifier le fonctionnement de la machine à tailler les miroirs…Dès lors que tous les paramètres ont été nominaux comme on dit à Kourou, une date a été arrêtée pour se lancer : la semaine sept, à la mi-février.

Mais… vous faites vos miroirs à la machine ?

Euh… c’est plus compliqué que cela. Michel, notre expert en mécanique, optique, en… plein de choses a conçu et mis au point un véritable KitchenAid de l’astronome, une machine multifonction capable d’ébaucher, tailler, percer, chanfreiner, dresser les dos, et même à terme polir un miroir. Seulement voilà, si les locaux de l’asso mis à disposition par la mairie de Quéven (et on les remercie chaudement pour ça) sont trois fois plus spacieux que précédemment, il manque un local dédié à la machine. Rien de mieux qu’une image pour illustrer le problème…

Ébaucher un miroir à la meuleuse produit beaucoup de poussière, ce que nos télescopes stockés dans la même pièce n’apprécient guère. Je vous épargne aussi les nuisances sonores… Exit la machine. La phase d’ébauchage qui aurait pris en gros une heure à la machine, demandera au minimum dix fois plus de temps réalisée à la main. Mais l’AstronAid nous servira quand même à réaliser le chanfrein, et à dresser le dos des miroirs. En attendant de l’équiper un jour d’un carter de protection et d’une salle dédiée…

A vos agendas !

Tailler un miroir est un travail de longue haleine qui nécessitera de nombreuses séances de travail. À moins de s’y atteler à plein temps tous les jours (ce qui est incompatible avec les obligations professionnelles ou personnelles des uns et des autres), cela prendra plusieurs mois. À raison de deux heures par séance (préparation, travail proprement dit, nettoyage et mesure), les horaires d’ouverture habituels de l’asso (mercredi soir et samedi après-midi) ne suffiront pas. D’autres rendez-vous généralement programmés en fin de journée après le travail vont se rajouter dans la semaine. Chacun se plonge dans ses agendas…

Le lundi 13 février lance le top départ ! Un départ tout en douceur car il faut retrouver ses marques, Seul au local, Yves se charge de faire la mise en place et de régler la machine pour le chanfreinage et le dressage des différents disques qui seront finalement réalisés mercredi.

Et c’est donc ce mercredi que les miroirs vont subir les premiers assauts des pousseurs de verre. Avec une bonne surprise pour Bernard 2 : son disque de verre prévu au départ pour être son disque-outil, se révèle être déjà pré-ébauché. Et comme il s’agit d’un verre Pyrex de bonne qualité, l’outil deviendra finalement le futur miroir, nous épargnant une partie du fastidieux travail d’ébauchage…

Après les opérations de chanfreinage et de dressage évoquées plus haut, le miroir de Bernard subit une première séance d’ébauchage, supervisée par les deux « anciens », Michel et Yves. Honneur aux débutants ! Mais je laisserai Bernard 2 raconter lui-même ses premiers pas de pousseur de verre et les progrès de son miroir…

Après une deuxième séance d’ébauchage programmée vendredi soir, c’est au tour du deuxième miroir d’entamer son travail samedi après-midi. Pendant que l’essentiel des membres se retrouvent à l’étage pour la traditionnelle séance de présentation hebdomadaire (consacrée à la constellation de la Licorne, Yves se retrouve seul au rez-de chaussée pour mener la danse, seulement accompagné d’un reporter-photographe…

À peine formé, déjà baptisé

Depuis quelques années à chacun de nos miroirs, pour donner chair à ces disques de verre, nous avons pris l’habitude de leur donner un petit nom, à l’instar des quatre miroirs du VLT (Antu, Kueyen, Melipal et Yepun). Il y eut d’abord Tux, merveilleux miroir de 252 mm achevé le 29 février 2012. Puis Junior, turbulent miroir de 300 mm qui nous donna tant de fil à retordre. Les trois Newton-Cassegrain de 250 mm encore au stade de l’ébauchage portent déjà les noms de Chouette, Grand-Duc et Parfait. Il faudra un jour prendre le temps de raconter la genèse de ces différents noms…

Et les deux nouveaux disques de Verre ? A ce jour, Bernard n’avait pas encore trouvé de nom à son miroir. Quant au mien, c’est décidé : ce sera un Mo’aï , en hommage aux imposantes statues de pierre de l’île de Pâques…

Pour Mo’aï, tout est à faire. Pas de pré-ébauchage, il va falloir patiemment creuser, et ce samedi, les séchées se succèdent à un rythme de métronome.

Au fur et à mesure que la séance avance, nous peaufinons l’agencement de la salle. L’abrasif et le spray rempli d’eau doivent rester à portée de main du pousseur de verre. La bassine d’eau est posée sur une chaise. On aménage un espace de nettoyage et de séchage juste à côté sur l’établi. Il faut rentabiliser l’espace afin de pouvoir travailler à l’avenir les deux miroirs de concert sans se gêner mutuellement.


Le glossaire du pousseur de verre

Qu’est-ce qu’une séchée ?

Pour tailler un miroir de télescope, on interpose entre le disque du futur miroir et le disque outil un abrasif en poudre que l’on humidifie légèrement et l’on frotte ses deux disques l’un contre l’autre. Une séchée, c’est le temps de travail utile de l’abrasif jusqu’au moment où celui-ci devient inefficace. Alors on nettoie grossièrement les surfaces des deux disques, on remet de l’abrasif neuf, on l’humidifie et on démarre une nouvelle séchée.


Le déroulé

La surface de Mo’aï est désespérément plane. Il va donc falloir creuser son centre. Pour ce faire, on va d’abord disposer et fixer le disque outil sur le pied-colonne.

Ensuite on répartit l’abrasif (carbo 80) sur la surface du disque. On l’humidifie à l’aide d’un vaporisateur.

On pose alors délicatement le miroir sur le disque outil, on touille quelques secondes pour bien répartir l’abrasif. La séchée peut alors commencer.

Pourquoi travailler miroir dessus ? Parce qu’en travaillant ainsi, le centre du miroir va se creuser. À l’inverse, on verrait ses bords s’aplanir et l’outil se creuser. Dans cette première phase, on va donc essentiellement travailler miroir dessus.

Déroulé d’une séchée

  • 1 - on saupoudre d'abrasif la surface du verre
  • 2 - L'abrasif est réparti de façon homogène
  • 3 - l'abrasif est humidifié
  • 4 - Pose du miroir sur le disque outil
  • 5 - Le miroir est posé sur l'outil
  • 6 - Début de la séchée

Que fait-on durant la séchée ? On va frotter les disques entre eux, mais il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Nous allons réaliser des courses en i, des mouvements rectilignes d’avant en arrière et inversement, en déportant d’un tiers le disque en mouvement par rapport à l’outil. Ainsi, la région centrale sera la plus sollicitée, celle-là même qu’il faut creuser.

Il est nécessaire d’être particulièrement régulier dans ses courses. Il faut toujours compter le même nombre de va-et vient, se décaler autour du disque entre chaque course pour ne jamais attaquer au même endroit, faire le tour complet du disque avant de terminer une séchée, de façon à ce qu’aucune région ne soit travaillée plus qu’une autre.

Ce n’est pas clair ? Une vidéo vous permettra de mieux comprendre la technique :

La séquence chabadabada…

Une douzaine de séchées plus tard, il est temps de nettoyer consciencieusement le miroir et de le laisser se reposer, non sans avoir réalisé une première mesure : une flèche de 0,26, ce qui correspond à une focale de 9,5 mètres ! Pour une focale attendue de 800 mm, il y a encore un peu de chemin…

Mais nous reviendrons en détails sur les outils de mesure et les résultats obtenus, la manière de les interpréter dans un prochain article.

Il est temps de s’y remettre, les miroirs nous attendent !


Nos sessions de taille de miroirs sont aussi à suivre sur nos réseaux sociaux : Mastodon, Pixelfed et Peertube. Quelques surprises sont à attendre… Consultez également l’agenda de l’asso pour les horaires des prochaines séances de travail.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.