Rosetta nous donne de ses nouvelles dans un excellent article de Libération :
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Profitant de l’hibernation forcée du petit robot Philae, la sonde de l’Agence spatiale européenne nous envoie de ses nouvelles, et raconte ses six mois d’orbite autour de la comète Tchouri.
Salut les Terriens, ici Rosetta. Vous êtes en plein hiver mais d’où je vous parle, à 390 millions de kilomètres du Soleil, il fait vraiment un froid de loup. Ce petit coup de fil, c’est pour vous donner des nouvelles de la comète que je survole depuis le mois d’août, celle que vous avez surnommée Tchouri, même si son vrai patronyme c’est «67P/Tchourioumov-Guérassimenko», du nom de mes deux découvreurs soviétiques.
D’abord, c’est bon pour votre moral de voir ce que peut produire une science faite «pour l’honneur de l’esprit humain», comme disait un certain Dieudonné (le matheux, pas l’autre). En outre, ça pourra peut-être servir un jour à quelque chose de très concret, voire vital, pour l’espèce humaine. Après tout, c’est une comète qui a mis fin au règne des dinosaures il y a 65 millions d’années, dans un système solaire qui n’a pas changé depuis. En apprendre assez sur ces comètes afin de pouvoir, un jour, modifier la trajectoire de celle qui pourrait croiser la Terre n’est pas un mince objectif. Même si, rassurez-vous, aucune d’elles, pour l’instant, ne semble menacer la planète bleue.
Le coup de la cabriole
Et puis, je dois vous avouer une pointe de jalousie. C’est vrai quoi, y’en a que pour mon petit copain Philae dans vos gazettes. D’accord, le coup de la cabriole sur Tchouri, l’incroyable succès de l’atterrissage alors que ses harpons et sa rétrofusée n’ont pas fonctionné, la réussite de presque toutes ses expériences… bravo l’artiste. Lorsque je l’ai largué d’une pichenette en direction de la comète, j’ai eu un pincement dans mon cœur électronique. Les chances de succès étaient minces. Pour l’instant, il est endormi, faute de jus. Mais, d’après mes ingénieurs , il pourrait avoir assez de photons pour recharger ses batteries en mars. On verra bien.
C’est à mon tour de faire la une. Eh, vous avez vu ? La couverture du 23 janvier de la revue Science, l’une des publications les plus lues dans les labos. C’est moi ! Pas mal, non, la photo que je vous ai envoyée ? Un magnifique noir et blanc du paysage tourmenté de Tchouri. J’aime bien le titre. «Catching a comet», qu’ils ont mis. Et en sous-titre, je fais la star : «Rosetta accompagne une relique du système solaire primordial vers le Soleil.» La classe, hein ? Un tel voyage, je suis la première à le faire, et cela m’étonnerait qu’il soit réitéré de sitôt.
Sur près de 30 pages, des dizaines de scientifiques (1) racontent tout ce que je leur ai envoyé depuis mon arrivée près de Tchouri, l’été dernier. Faut dire que je suis bien équipée côté instruments. Douze en tout, comme les travaux d’Hercule. Caméras visible et infrarouge, spectromètres, outils permettant la collecte et l’analyse des grains de poussière qui me frappent ou des observations en micro-ondes… Je leur expédie tout ça brut de décoffrage. A eux de calculer et de cogiter dans leurs labos, surtout en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Bon, avec les équations et les graphiques abscons, je ne comprends pas tout ce que mes très futés scientifiques font de mes envois, mais je vais vous résumer ça à ma façon.
Le jeu des attractions
L’allure générale de Tchouri – que certains voient comme un canard avec un corps, un cou et une tête – est mieux comprise grâce aux mesures (radio, densité…) et aux images. Au début, elle semblait résulter du collage de deux lobes, reliés par un «cou» étroit, le plus gros faisant 4,1 km par 3,3 et 1,8, et son petit frère 2,6 km par 2,3 et 1,8. Un collage de «cométisimaux» qui remonterait aux débuts du système solaire, il y a 4,5 milliards d’années ? Ou alors, Tchouri est une et indivisible (comme la République) depuis sa formation, par accrétion de petits blocs ? Voire issue, par un choc cosmique, d’un corps plus vaste ? Le cou pourrait avoir été façonné sur la comète par une éjection de matières plus forte à cet endroit, où la couverture de poussière semble moins épaisse, voire laisse apparaître la couche de glace. Pour trancher entre ces hypothèses, mes scientifiques aimeraient bien retrouver l’histoire de Tchouri. Et déterminer depuis quand elle passe près du Soleil.
D’après mes spécialistes, elle se serait formée dans le froid, au-delà de l’orbite de Neptune, entre 30 et 55 unités astronomiques du Soleil (une UA, c’est la distance moyenne entre la Terre et le Soleil, environ 150 millions de km), là où se trouve aujourd’hui la «ceinture de Kuiper», un réservoir de milliers de comètes. Cette information provient des molécules organiques (donc composées d’atomes de carbone) qui abondent sur Tchouri. Ces molécules, apportées en masse par des comètes chutant sur la Terre, ont-elles participé à l’émergence de la vie ? C’est l’un des trucs qui excite à mort mes chercheurs…
Parfois, l’une des comètes de la ceinture de Kuiper est capturée par le jeu des attractions gravitationnelles des planètes géantes et plonge vers le système solaire interne. Voire droit dans le Soleil, comme l’a déjà observé ma copine Soho (2) qui ne quitte pas l’étoile des yeux depuis 1995. Pour Tchouri, il est certain qu’elle est passée près de Jupiter en 1959. Mais depuis quand a-t-elle été éjectée de la ceinture de Kuiper ? Impossible de remonter à son orbite avant 1959. Pour l’instant, mes spécialistes donnent donc leur langue au chat.
La suite à lire sur le site de Libération : «Allô la Terre, ici Rosetta…» – Libération.
(1) Dont 9 labos du CNRS et les universités d’Orsay, Aix-Marseille, Paris, Toulouse, Grenoble, Orléans, Nancy, Cergy-Pontoise et Versailles. Publications de «Science» du 23 janvier et de «Nature» du 26 janvier.
(2) Le télescope spatial Soho, lancé par la Nasa et l’Agence spatiale européene (ESA).